Les Amazighs dénoncent la discrimination à l’encontre de la langue Amazighe dans les campagnes d’alphabétisation des adultes au Maroc

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A l’attention de Monsieur Abdelouadoud KHARBOUCH,  Directeur de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Analphabétisme

Objet:  discrimination à l’encontre  de la langue Amazighe dans les campagnes d’alphabétisation des adultes

Monsieur Le Directeur, azul,

A l’occasion de la journée nationale de l’alphabétisation, ce vendredi 13 octobre 2023, l’Assemblée Mondiale Amazighe (AMA) vous interpelle, en tant que haut responsable chargé de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Analphabétisme (ANLCA), au sujet de l’injustice et la discrimination commises par votre nouvelle politique dans le cadre de vos campagnes d’alphabétisation des adultes. En effet, vous persistez à exclure la langue amazighe qui est, pourtant, la seconde langue officielle du Royaume du Maroc, en vous limitant à alphabétiser en vous basant sur la langue arabe voire la langue française qui ne dispose d’aucun statut constitutionnel.

Vos dernières données sur l’analphabétisme au Maroc restent préoccupantes, sachant que ce fléau concerne une dizaine de millions ou plus de citoyennes et de citoyens marocains. Des millions de personnes qui n’arrivent pas à maîtriser les compétences de lecture, d’écriture et de calcul.

Pourtant, les gouvernements du PJD, dirigés respectivement par M. Abdelillah BENKIRANE et M. le Dr. Saad Eddine EL OTHMANI, avaient prévu une politique d’éradication de l’illettrisme, avec une aide financière substantielle de l’Union Européenne, en 2024. Déjà, le gouvernement antérieur au PJD, celui du Parti de l’Istiqlal, sous la direction de M. Abass El Fassi, visait, auparavant, la réduction du taux de l’analphabétisme en le ramenant à moins de 20% à l’horizon de 2010 et son « éradication » en 2015…  Ces ambitieux objectifs n’ont jamais été atteints, à cause de leurs principales considérations qui étaient plutôt d’ordre politico-idéologiques au lieu d’être éducatives, ce que j’ai eu l’occasion de dénoncer aux eurodéputés en novembre 2013 et le 13 mars 2019 [1].

Comme vous le savez, l’analphabétisme constitue un sérieux frein au développement durable, à l’intégration des jeunes au marché du travail, à l’épanouissement des femmes, et en l’occurrence les femmes rurales, et à l’amélioration du statut social des communautés enclavées. C’est dans ce sens que le Symposium de l’UNESCO, qui a eu lieu en Iran en 1975, précise pertinemment que : « Le travail d’alphabétisation, comme l’éducation en général, est un acte politique. Il n’est pas neutre, parce que l’acte de révéler la réalité sociale pour la transformer ou de la cacher pour la préserver est un acte politique », qui devrait s’accompagner avant tout par la volonté politique.

Les institutions marocaines se sont affichées d’une « volonté politique » claire, matérialisée à partir de 1999 au sein de la Charte Nationale d’Education et de Formation, en soulignant que : « La lutte contre l’analphabétisme est considérée comme une obligation sociale de l’Etat et constitue un facteur déterminant de mise à niveau du tissu économique, par le rehaussement de la compétence des ressources humaines, afin d’accompagner le développement des unités de production»[2]Toutefois, les résultats des campagnes nationales d’alphabétisation ne cessent d’être médiocres !

Comme le préconisent les institutions internationales, (tels que l’UNESCO, le PNUD, la Banque Mondiale, l’USAID…), l’alphabétisation des adultes a pour objectif primordial l’épanouissement et l’émancipation de la personne et non pas sa domestication par le biais de la reproduction des rôles sociaux et des classes sociales. Plus encore, c’est un exercice de justice du fait de libérer les masses populaires du joug de l’ignorance, de favoriser leurs luttes contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ainsi que de les amener à contribuer activement à l’effort de développement durable.

Toutefois, tous les programmes gouvernementaux suivis, depuis l’indépendance en 1956 jusqu’à aujourd’hui, pour réduire et éradiquer l’illettrisme n’ont pas atteints les résultats souhaités, pour la simple raison que tous ces programmes éducatifs, organisés par votre Agence et par le ministère des Habous et des Affaires Islamiques ignorent un facteur fondamental et déterminant à savoir : la langue maternelle.

Comme le précisent les chercheurs Ahmed Boukous et Fatima Agnaou [2] : « (…), les différences structurales existant entre la langue première et la langue seconde de l’apprenant sont généralement à l’origine des difficultés d’apprentissage provoquant l’échec ou l’abandon. En tout cas, il semble que l’introduction de la langue première, (c’est-à-dire la langue maternelle), comme médium d’acquisition des savoirs de base avant la langue seconde agit comme un facilitateur, notamment en ce qu’elle permet la fluidité de l’apprentissage des compétences de lecture, d’écriture et de calcul ».

Votre Agence avance, dans sa propre page web et selon les données du Haut-Commissariat au Plan (HCP) du recensement général de la population et de l’habitat de 2014, que le taux d’analphabétisme de la population âgée de 10 ans et plus s’élève à 32,2 %, c’est-à-dire qu’un marocain sur trois est analphabète. Cela signifie que sur une population marocaine de 37 millions de personnes, on a 12 millions de personnes illettrés, (soit plus que la population de tout le Portugal ou presque celle de la Tunisie), avec 47,5% dans le monde rural et 22,6% dans le milieu urbain, dont un pourcentage global de 66% pour les filles et les femmes [3]. Vous signalez aussi, que selon les régions, les taux dans les régions de Béni Mellal – Khénifra est de 39,1%, à Marrakech – Safi 37,8%, à Fès – Meknès 34,7% et au Drâa-Tafilalet 34,5%. En revanche, les taux d’analphabétisme les plus faibles ont été enregistrés dans les régions de Sahara et dans le Grand Casablanca – Settat, qui oscille entre 21% et 26,2%. En réalité, et ce qui est évident, c’est que le taux d’analphabétisme est plus élevé dans les régions amazighophones que dans les régions arabophones. Par conséquent, on se rend compte, clairement, que la pauvreté est intimement liée à l’analphabétisme, et touche indéniablement les régions amazighophones plus que les régions arabophones, selon notre rapport élaboré en janvier dernier [4].

En définitif, votre politique d’exclusion et de discrimination envers la langue amazighe conduit à l’échec de vos campagnes nationales d’alphabétisation des adultes. Elle constitue une démarche délibérée qui reflète une discrimination grave et qui, en plus, hypothèque la réussite de toute stratégie de développement durable. En sus, votre politique va à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la Constitution du 1er juillet 2011, dont l’article 5 de celle-ci, de même que les objectifs de la loi organique n° 16-26 relative à la mise en œuvre des étapes d’activation de l’officialité de l’amazigh. Pire, cela s’inscrit en violation des directives et de la volonté royales, que Sa Majesté Le Roi Mohamed VI a réaffirmé, à l’occasion de la décision de reconnaissance du nouvel an amazigh en voulant : « l’Amazighe en tant que composante essentielle de l’identité marocaine authentique riche par la pluralité de ses affluents et patrimoine commun à tous les Marocains sans exception ».

L’ AMA, tout en se tenant à votre disposition et en attendant votre réponse, espère que vous agirez pour les redressements nécessaires. Le cas contraire, nous serions contraints de recourir à tous les moyens de droit.

Veuillez agréer, Monsieur Le Directeur, l’expression de nos salutations distinguées.

Rachid RAHA – Amghar de l’Assemblée Mondiale Amazighe

 Copie :

  • Mass Amghar Aziz AKHENNOUCH, Chef du gouvernement du Royaume du Maroc
  • Mass Ahmed TAOUFIK, Ministre des Habous et des Affaires Islamiques dont le ministère se charge aussi des campagnes nationales de l’alphabétisation des adultes au sein des mosquées
  • & les partenaires internationaux de l’ANLCA, à savoir :
  1. Délégation de l’Union Européenne au Maroc
  2. UNESCO
  3. PNUD- ONU
  4. DVV International (Institut de la Coopération internationale de la Confédération allemande pour l’Education des Adultes)
  5. AECID (Agence Espagnole de Coopération Internationale).

Notes :

[1].– http://amamazigh.org/2019/03/comment-lunion-europeenne-contribue-a-la-radicalisation-des-jeunes-au-maroc/
[2].– Boukous Ahmed & Agnaou Fatima. Alphabétisation et développement durable au Maroc : réalités et perspectives. Université Mohamed V, Rabat, 2001.
[3].-  https://www.anlca.ma/fr/lalphabetisation/lalphabetisation-en-chiffres/
[4].-  https://rachidraha.com/le-rapport-entre-la-pauvrete-et-lignorance-de-la-question-amazighe-au-maroc/

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