Les partis catalans demandent la reconnaissance de la responsabilité de l’État espagnol dans l’utilisation des armes chimiques dans le Rif, et ce à la demande des Amazighs

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Les partis catalans, Junts per Catalunya (JxCat) et Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), qui ont récemment reçu une délégation de l’Assemblée Mondiale Amazighe conduite par Rachid Raha, au parlement catalan à Barcelone et au Congrès des Députés à Madrid, viennent de présenter une proposition non de loi à propos de la reconnaissance de la responsabilité de l’État espagnol de l’utilisation des armes chimiques pendant la Guerre du Rif, et ce à la demande de ladite délégation.

Après l’initiative d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) de présenter un amendement dans le de la loi de la Mémoire Démocratique, les partis catalans, Junts per Catalunya (JxCat) et Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) viennent de présenter ensemble une nouvelle proposition non de loi (PNL) sur le même sujet en interpellant le ministre des affaires étrangères afin de condamner l’utilisation d’armes chimiques par l’État espagnol lors de la Guerre du Rif, de reconnaître sa responsabilité et d’indemniser la région rifaine des dommages éventuels subis, résultant des-dites attaques chimiques.

Ci-joint la proposition de non-loi déposé devant la Commission des Affaires Etrangères au Congrès des Députés du Royaume d’Espagne :

« Le gouvernement espagnol a été le premier de l’histoire à utiliser du gaz moutarde contre la population civile (1). Dans sa tentative furieuse d’ »exterminer » (selon les termes d’Alphonse XIII(2)) les rebelles du Rif après la défaite totale des troupes espagnoles à Anoual et de démanteler l’État indépendant constitué dans la région en 1921 sous la direction du président Abd el-Krim , l’Espagne a utilisé des armes chimiques contre des cibles militaires et la population civile entre 1921 et 1926 ; un fait qui a joué un rôle clé dans le rétablissement du contrôle et de la souveraineté sur le Rif, ses habitants et ses ressources minérales.

Bien que ces événements aient été contestés pendant des années, en partie à cause de l’intérêt des anciens gouvernements espagnols à ne pas enquêter sur eux, il existe aujourd’hui un solide consensus académique qui soutient la survenue de ces événements (3).

À titre d’exemple, lors des attaques de 1924, l’armée espagnole d’Afrique a pulvérisé la population du gaz moutarde à partir d’avions. Cela s’est produit après que le traité de Versailles avait déjà interdit l’utilisation militaire d’agents chimiques (en 1919) ; également interdiction explicite dans plusieurs conventions ultérieures, dont celles signées à Saint Germain, Nevilly, Trianón, Sèvres et Washington. Un an après ces attaques, en 1925, le protocole de Genève consolidera également cette interdiction.

Initialement, les armes et la technologie chimiques ont été achetées à l’Allemagne, qui avait déjà utilisé des armes chimiques pendant la Première Guerre mondiale. Plus tard, cependant, l’État espagnol a commencé sa propre production d’agents chimiques à usage militaire. Le gaz moutarde utilisé lors des attaques de 1924 avait été entièrement produit dans une usine d’agents chimiques à usage militaire spécialisée dans l’ypérite (gaz moutarde) et le phosgène, établie à La Maranyosa (Madrid) des années auparavant par le chimiste allemand Hugo Gustav Adolf Stoltzenberg (1883 -1974), proche collaborateur du prix Nobel de chimie (1918) et père de la guerre chimique, Fritz Haber (1868-1934) (4).

Le bombardement continu du Rif avec du gaz moutarde et d’autres agents chimiques tels que la chloropicrine et le phosgène a fait de nombreuses victimes non seulement parmi les combattants, mais aussi parmi la population civile, et est resté dans les mémoires comme un événement fatidique qui a causé la cécité et des maladies respiratoires en masse, des pertes importantes de cheptel et ont considérablement affecté la production agricole de la région à long terme. La résistance rifaine fut tuée, capturée ou forcée à l’exil ; et tout cela à grands frais humains, dont plus de 60 000 victimes dans les rangs espagnols et français, et plus de 30 000 victimes du côté de la défense, entre blessés et morts.

Certains effets de ces attaques chimiques seraient restés latents sur la population et la région pendant des décennies et, selon diverses études et ONG de la région, ils auraient même touché les descendants des victimes de ces attaques. Selon le professeur Mimoun Charqi dans son livre « Armes chimiques de destruction massive sur le RIF » (2014), 80 % des adultes et 50 % des enfants atteints de cancer soignés à l’hôpital de cancérologie de Rabat sont originaires de la même région du Rif que l’aviation de l’armée espagnole avait systématiquement attaqué avec du gaz moutarde. Ces déclarations méritent une étude plus approfondie et il est aussi de la responsabilité de l’Etat d’enquêter sur la vérité et d’agir, si elle peut être vérifiée, pour réparer les dommages perpétrés contre des milliers de civils et leurs descendants.

C’est pour tout cela que la vision de certains secteurs du nationalisme espagnol qui réduit le récit officiel de la Guerre du Rif aux coups subis par les forces colonisatrices espagnoles (et françaises) dans leur tentative de contrôler et d’exterminer les rebelles, éminemment dans le soi-disant «Désastre d’Anoual » de 1921, il ne devrait pas être considéré comme compatible avec les principes qui devraient régir une démocratie supposée en plein siècle XXI, dans ses exercices de mémoire historique. L’État espagnol doit condamner son utilisation d’armes chimiques pendant la Guerre du Rif, conformément au droit international en vigueur aujourd’hui et déjà à l’époque, et orienter une partie de son œuvre gouvernemental pour indemniser la population touchée et la mémoire de leurs ancêtres, en raison des effets subis du fait de l’utilisation militaire d’agents chimiques.

C’est dans ce sens que Junts per Catalunya (JxCat) et Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) présentent la proposition non de loi suivante :

« Le Congrès des députés condamne l’utilisation militaire d’armes chimiques, y compris le gaz moutarde, perpétrée par l’État espagnol contre la population civile pendant la Guerre du Rif, et exhorte le gouvernement de l’État à :

  1. Condamner l’utilisation militaire d’armes chimiques de l’État espagnol contre la population civile pendant la Guerre du Rif.
  2. S’engager à enquêter et contraster de manière indépendante, rigoureuse et empirique, en coordination avec les autorités marocaines et en dialogue avec la société civile rifaine, la véracité des déclarations observées dans la littérature et par les agents locaux concernés qui considèrent que l’utilisation systématique de produits chimiques que l’État espagnol a exercées contre la population civile pendant la Guerre du Rif, auraient causé pendant des années et causeraient encore aujourd’hui une incidence plus élevée de cas de cancer dans les régions bombardées.
  3. S’excuser pour les atrocités de la guerre, en particulier l’utilisation des-dites armes chimiques, pour honorer la mémoire des victimes et de leurs descendants, en construisant des ponts de compréhension dans le processus qui rendront possible, à l’avenir, des exercices (conjoints) de mémoire qui se traduit par un récit partagé, responsable et véridique face aux atrocités, événements et conséquences de la Guerre du Rif.
  4. Agir, en matière de coopération internationale pour le développement, pour indemniser la région des dommages éventuels subis, résultant des-dites attaques. » ».

Notes :

(1). Etemad, L., Moshiri, M., & Balali-Mood, M. (2015). History of use and epidemiology of mustard compounds. In Basic and Clinical Toxicology of Mustard Compounds (pp. 29-47). Springer, Cham.

(2). Diversos estudios sitúan en boca de Alfonso XIII, jefe del Estado a inicios de la Guerra del Rif, la afirmación: “Dejémonos de vanas consideraciones humanitarias porque con la ayuda del más dañino de los gases salvaremos mucha vida. Lo importante es exterminarlos como enemigos, como se hace con las malas bestias.

(3). La Porte, P. (2011). ‘Rien à ajouter’: The League of Nations and the Rif War (1921—1926). European History Quarterly, 41(1), 66-87.

(4). Sánchez, M., Pinto, G., Martín, M. T., & Hernández, J. M. (2015, December). Cien años de armas químicas. In Anales de Química (Vol. 111, No. 4). Accedido en octubre de 2021 en https://www.researchgate.net/profile/Gabriel-Pinto-5/publication/287640749_Cien_anos_de_armas_quimicas/links/5677f98708ae0ad265c7fd41/Cien-anos-de-armas-quimicas.pdf.

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