Rabat, 10 avril 2023/2973
A l’aimable attention de M. Jesko HENTSCHEL,
Directeur pays pour le Maghreb et Malte
à la Banque Mondiale (WB),
Objet : enseigner la langue amazighe peut sauver l’école et la petite enfance au Maroc
Monsieur Le Directeur,
La Banque Mondiale (BM), vient d’approuver récemment un financement additionnel de 250 millions de dollars pour le financement du Programme d’appui à l’éducation au Maroc, destiné à soutenir la mise en œuvre d’un ambitieux programme de réformes de l’éducation, concernant la petite enfance, l’enseignement dans le primaire et le secondaire (1), et dont l’accord a été signé, par le ministre délégué chargé du Budget, M. Fouzi LEKJAA, et vous-même, en présence du ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, M. Chakib BENMOUSSA, à la capitale de Rabat, ce mercredi 5 avril.
A ce propos, vous avez déclaré que : « Ce financement additionnel soutient l’opérationnalisation du Nouveau Modèle de Développement (NMD), en particulier la feuille de route stratégique de la réforme de l’Éducation pilotée par le ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports. Cette feuille de route utilise une approche tripartite qui inclut les élèves, les enseignants et les écoles pour mettre en œuvre des réformes ayant un impact tangible sur l’environnement d’apprentissage, la gouvernance et, in fine, sur les résultats d’apprentissage » (2).
Permettez-moi de vous rappeler que je vous ai déjà fait part ainsi qu’au Vice-Président M. Ferid BELHAJ et à vous-même (3), que cet ambitieux et nécessaire programme sera, malheureusement et tristement, condamné à l’échec total, s’il n’est pas tenu compte de l’enseignement de la langue amazighe.
Ferid BELHAJ, (qui demande auxpays de la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) de s’atteler à la tâche pour l’avenir des générations futures, aujourd’hui plus que jamais, insiste qu’apprendre est essentiel, depuis la lecture, l’écriture et le calcul de base jusqu’à l’acquisition des compétences fondamentales et de la pensée critique), déclare que : «la proportion d’enfants incapables de lire et de comprendre un texte simple à l’âge de 10 ans atteignait le chiffre alarmant et inacceptable de 60 % » (4).
Selon les déclarations de l’actuel ministre de l’Éducation nationale du RNI, M. Chakib BENMOUSSA, ce taux de pauvreté des apprentissages a malheureusement progressé à 76 % et que plus ou moins 330 000 élèves abandonnent l’école chaque année. Pire, d’après les déclarations de M. Ahmed R. CHAMI, président du Conseil économique, social et environnemental en février dernier, pas moins de 4,3 millions de jeunes marocains ont quitté l’école et n’ont reçu aucune formation pour intégrer le marché du travail (5).
Il est fort regrettable qu’il y ait un gaspillage des fonds financiers alloués à l’école marocaine, et nous ne voulons d’aucune manière admettre que ce programme éducatif de soutien à la petite enfance connaisse le même sort que le « programme d’urgence 2009-2012 » de l’ex-ministre du PAM, M. Ahmed AKHCHICHENE et qui avait été dénoncé publiquement par la Cours des Comptes pour la dilapidation d’un budget monumental de 3,3 milliards de dirhams sans que l’école marocaine ne s’améliore d’un iota (6)!
Il est plus que condamnable que des soi-disant « responsables politiques » continuent à jouer avec l’avenir de nos enfants, à les utiliser dans des projets éducatifs en nous montrant de nobles objectifs, mais qu’en réalité, ils cachent des finalités idéologiques sinistres, en s’obstinant à mener à terme, contre vents et marées, une obsessive et fracassante politique d’ « arabisation idéologique » depuis l’indépendance de Maroc en 1956 ; j’ai déjà eu l’occasion de dénoncer cela dans ma correspondance à l’UNESCO (7) et dans mon récent rapport élaboré sur l’étroite relation entre la pauvreté et l’ignorance de la question amazighe (8). L’Assemblée Mondiale Amazighe s’oppose catégoriquement à ce que les fonds soient détournés vers des objectifs de type de prosélytisme religieux, comme cela apparaît au sein de certains ouvrages pédagogiques destinés aux enfants de 4 à 5 ans (9). Les précédents gouvernements islamistes du PJD ont profité des fonds de l’Union Européenne pour faire de même avec des programmes éducatifs en faveur de l’alphabétisation des adultes à travers l’Agence Nationale de Lutte contre l’Analphabétisme (ANLCA) (10).
La réforme de la nouvelle Feuille de route 2022-2026 du ministre BENMOUSSA est voué incontestablement à l’échec (11) pour la simple raison qu’elle ne respecte guère les recommandations ni les principes de votre propre institution qu’est la Banque Mondiale.
Comme le souligne, clairement, M. Jaime SAAVEDRA, directeur général pour l’Education à la BM: « Le message sonne haut et clair. Les enfants apprennent mieux lorsqu’ils reçoivent une instruction dans une langue qu’ils comprennent, et ils acquièrent ainsi des bases optimales pour apprendre une seconde langue … Il importe de prendre des mesures pour remédier à cette profonde et injuste crise de l’apprentissage. Les investissements consacrés au système éducatif dans le monde entier ne permettront pas de réellement améliorer les acquis scolaires si les enfants ne comprennent pas la langue utilisée à l’école. Il est possible de faire reculer dans une large mesure la pauvreté des apprentissages en assurant aux enfants un enseignement dans la langue qu’ils parlent au foyer » (12).
Il sied de relever qu’il existe, au Maroc, une louable et extraordinaire expérience, qui s’est distinguée par des résultats performants, avec le réseau des écoles communautaires Medersat.com de la Fondation de Bank Of Africa (www.facebook.com/Amadalpresse/videos/152290157725467 et à propos de laquelle nous vous invitons à vous y rendre visite -). Cette fondation reste la seule à appliquer la nouvelle approche et les cinq principes adoptés par la Banque mondiale en juillet 2021 en matière de langue d’enseignement (13), et cela, elle les appliquait depuis déjà une vingtaine d’années :
- Principe 1: Enseigner aux enfants dans leur première langue, en commençant par les Services d’Education et d’Accueil de la Petite Enfance (SEAPE) pendant au moins les six premières années de l’enseignement primaire. Il est essentiel que l’enseignement soit dispensé dans la langue que la plupart des apprenants parlent et comprennent le mieux.
- Principe 2: Utiliser la première langue pour l’enseignement de matières scolaires au-delà de la lecture et de l’écriture. Les apprenants ont besoin de maîtriser la lecture et l’écriture dans une large palette de disciplines et dans toutes les matières scolaires.
- Principe 3: Introduire la deuxième langue comme langue étrangère en mettant l’accent sur les compétences langagières orales.
- Principe 4: Poursuivre l’enseignement en langue première après que la deuxième langue devient la Langue d’Enseignement principale. L’instruction en langue première continue d’améliorer les performances de la deuxième langue de manière importante, même après que cette dernière est devenue la Langue d’Instruction.
- Principe 5: De façon permanente, planifier, développer, adapter et améliorer la mise en œuvre des politiques de Langue d’Enseignement, conformément aux contextes et aux objectifs du pays.
En conclusion, si on voulait à tout prix éviter les échecs, (comme nous l’avons exprimé à M. Habib EL MALKI, Président du Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) (14)), il faudrait que vous attiriez l’attention des autorités éducatives du Maroc, en exigeant de respecter les recommandations et les principes de la Banque Mondiale.
L’Assemblée Mondiale Amazighe souhaite que le ministre en poste devient réaliste, pragmatique et efficace en entamant une politique volontariste contre cette discrimination raciale à l’encontre de la langue co-officielle, nationale et maternelle qu’est la langue amazighe, afin que les objectifs de la nouvelle feuille de route 2022-2026, soutenue par vos conséquents financements (750 millions de dollars), ainsi que ceux de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de l’Union européenne (102,5 millions d’Euros) (15), soient gratifiés par les résultats positifs souhaités. En plus, cela ça contribuerait, sans aucun doute, au succès de la Décennie Internationale des Langues Autochtones 2022-2032 (www.unesco.org/fr/decades/indigenous-languages) que l’UNESCO a lancé officiellement le 13 décembre dernier et à assurer la survie de la millénaire langue autochtone amazighe.
En définitive, l’urgente généralisation de l’enseignement de la langue amazighe au préscolaire et au primaire, dans l’attente de l’étendre pour le secondaire, est le moyen le plus efficace et idoine pour sauver l’école et l’enfance du Maroc (16).
Je vous prie d’agréer, Monsieur Le Directeur, l’expression de mon profond respect et de mes salutations les meilleures.
Rachid RAHA, Président de l’Assemblée Mondiale Amazighe (AMA)
Copie à :
Chef du Gouvernement du Royaume du Maroc
Ministre de l’Education nationale, du Préscolaire et des Sports
Ministre délégué chargé du Budget
Secrétaire Général de l’UNESCO
Bureau de l’UNESCO pour le Maghreb
UNICEF Maroc
Système des Nations unies pour le Développement/ONU Maroc
Délégation de l’Union européenne au Royaume du Maroc
Eurodéputés du Parlement européen
Observatoire National des Droits de l’Enfant
Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique
Commission Nationale pour l’Education, les Sciences et la Culture
NOTES :
(4)- https://blogs.worldbank.org/fr/arabvoices/mena-addressing-challenge-learning-losses
(5)- https://madar21.com/141115.html
(8)- https://rachidraha.com/le-rapport-entre-la-pauvrete-et-lignorance-de-la-question-amazighe-au-maroc/
(9)- https://rachidraha.com/pourquoi-le-royaume-du-maroc-craint-lenseignement-de-la-langue-amazighe/