L’Assemblée Mondiale Amazighe dénonce devant la Représentation des Nations Unies au Maroc la discrimination de l’enseignement de la langue amazighe par le ministre de l’Education Nationale
Rabat, le 20 novembre 2022/2972
A François Reybet-Degat, Coordinateur résident par intérim du Système des Nations unies au Maroc
Objet : pourquoi la nouvelle feuille de route 2022-2026 du ministre de l’Education Nationale, du Préscolaire du Maroc est voué à l’échec ?
Excellence,
A l’occasion de la Journée mondiale de l’Enfance, nous avons le plaisir de vous adresser ce courrier afin d’appeler votre attention de l’importance capitale de la langue maternelle au sein de l’éducation préscolaire et primaire et que le ministre marocain infra-valorise injustement.
Vous venez de déclarer que les Nations Unies au Maroc saluent la traduction des engagements ambitieux du Maroc dans la nouvelle Feuille de route 2022-2026 et que : » la trajectoire de développement du Maroc, résolument engagé dans la transformation de l’école marocaine, est aujourd’hui orientée vers le renforcement du capital humain »
Malheureusement, ce capital humain n’est pas vraiment pris en considération par le ministre marocain de l’éducation nationale à qui j’ai adressé une correspondance le 5 octobre passé (1) et où j’ai lui est assuré que sa réforme de la politique éducative (dont cette nouvelle feuille de route 2022-2026) sera indéniablement vouée à l’échec, ainsi que son « modèle de développement », du fait qu’il continue à exclure la langue amazighe, pourtant officielle depuis 2011, du préscolaire et de limiter son enseignement à moins de 10% des élèves des classes du cycle primaire, alors qu’en 2008 et 19 ans de son introduction à l’école public, elle devrait être déjà généralisée à 100%…
Le ministère Chakib Benmoussa vient d’annoncer dans une récente conférence de presse des chiffres alarmants concernant le niveau scolaire des élèves, lors de la présentation de la nouvelle feuille de route de ladite réforme du système éducatif 2022-2026 où il a révélé, noir sur blanc, que près de 77% des élèves du primaire sont incapables de lire un texte en arabe de 80 mots et que 70% ne savent pas lire un texte en français composé d’à peine 15 mots (2). Alors que les élèves de réseau de la Fondation BMCE Bank pour l’éducation et l’environnement arrivent presque à 100% à lire et à écrire parfaitement ces deux langues, en plus de la langue amazighe, et que lui-même avait vérifié en personne le 21 janvier 2022, lors de sa visite à l’école Medersat.com, à la localité casablancaise de Bouskoura, où il a manifesté que : « ce réseau se distingue par rapport aux autres fondations par l’importance accordée à l’enseignement des langues, en particulier la langue amazighe, notant que comme on peut le constater dans cette école qui ne se situe pas dans une région amazighophone, la langue amazighe est enseignée depuis le préscolaire jusqu’à la 6e année du primaire ». Il a ajouté que : « l’amazigh est enseigné en tant que langue parlée et écrite et simultanément avec la maîtrise de la langue arabe et de la langue française, relevant qu’il s’agit d’une expérience extrêmement importante pour l’ensemble du système éducatif au Maroc qui montre de ce que cette dynamique est possible lorsque les conditions sont réunies (3) ». L’ex-président américain Bill Clinton s’en a inspiré pour sa fondation afin de l’appliquer aux écoles en Afrique et que cette merveilleuse expérience avait décroché l’un des meilleurs prix mondiaux, celui du « World Innovation Summit for Education » en 2013 choisi parmi 500 projets : www.youtube.com/watch?v=kjZWwfCswjE .
A quoi est dû ce franc succès ?
Le succès des écoles Medersat.com de la fondation Bank Of Africa revient simplement au fait qu’elles respectent, et qu’elles ont intégré dans le curricula scolaire, la langue maternelle, comme il le recommande incessamment l’UNESCO depuis 1962.
En effet, l’actuel ministre, comme ses malheureux prédécesseurs, continue à s’obstiner à s’accrocher à une idéologie moribonde, obsolète et importée du lointain Proche Orient, qu’est « le nationalisme arabo-salafiste », et qui lui empêche de se rendre compte de l’importance capitale de la langue maternelle dans l’enseignement primaire et préscolaire. Comme le soulignait le recteur Ahmed Boukous de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) :
1- La langue maternelle assure la continuité entre l’environnement familial et le milieu scolaire.
2- La langue maternelle garantit les conditions de succès de l’accès de l’enfant à un univers sociologique nouveau.
3- La langue maternelle facilite l’acquisition des stratégies d’apprentissage en général et des habiletés de la lecture et de l’écriture plus efficacement qu’une langue seconde ou une langue étrangère.
4- La langue maternelle étant le véhicule naturel de la pensée et de l’expression d’un peuple, son emploi pour l’éducation et l’alphabétisation resserre les contacts avec les sources de sa culture.
5- L’enseignement en langue maternelle se trouve en outre investi d’une fonction de facilitation en jouant notamment le rôle de médiateur entre le référent culturel familial et le référent culturel et social véhiculé par l’institution scolaire… Boukous ajoute que selon les experts de l’UNESCO, les pédagogues et les psychologues de l’enfant, la langue maternelle a des fondements psychopédagogiques solides, du fait qu’: « elle joue un rôle décisif dans son développement cognitif, dans sa relation psychoaffective à son environnement immédiat, dans sa scolarisation et dans le processus d’intelligibilité du monde ».
Le ministre Benmoussa ne voudrait pas admettre les conseils de prestigieux expert Alain Bentolila qui avait souligné lors de son intervention à la Conférence des ministres des Etats et gouvernements de la Francophonie inaugurale du 15/11/2019 que : « les systèmes éducatifs de certains pays, aussi coûteux qu’ils soient, sont devenus des machines à fabriquer de l’analphabétisme et de l’échec scolaire parce qu’ils n’ont jamais su (ou voulu) résoudre la question qui les détruit : celle du choix de la langue d’enseignement. Ils conduisent des élèves à des échecs cruels parce que l’école les a accueillis dans une langue que leurs mères ne leur ont pas apprise et c’est pour un enfant une violence intolérable et que sur la base solide de leur langue maternelle qu’on leur donnera une chance d’accéder à la lecture et à l’écriture et que l’on pourra ensuite construire un apprentissage ambitieux des langues officielles ». En plus, la Banque Mondiale déclare, désormais, qu’il est essentiel de fournir aux enfants une instruction dans la langue qu’ils parlent au foyer pour éliminer la pauvreté des apprentissages (3).
La Conférence mondiale sur l’éducation et la protection de la petite enfance qui vient d’avoir lieu à Tachkent, en Ouzbékistan, ne fait que réaffirmer le droit de chaque jeune enfant à une éducation et à une protection de qualité dès la naissance et elle a exhorté les États membres à accroître leur engagement et leurs investissements afin de garantir l’accès de toutes les filles et de tous les garçons à un développement, à une protection et à une éducation pré-primaire de qualité les préparant à l’entrée dans l’enseignement primaire. Et cela ne pourrait se concrétiser efficacement qu’à condition d’inclure la langue maternelle.
En définitive, notre requête c’est de vous demander d’interpeller le ministre marocain d’être pragmatique, d’aller dans le bon sens et de lui conseiller d’entamer une politique volontariste contre cette discrimination raciale à l’encontre de la langue officielle, nationale et maternelle qu’est l’amazighe, s’il voudrait que les objectifs de sa réforme de la nouvelle Feuille de route 2022-2026 soient gratifiés par des résultats vraiment positifs. Et par conséquent de travailler en faveur de l’urgente généralisation de l’enseignement de la langue amazighe au préscolaire et au primaire.
Veuillez agréer, Excellence, notre plus haute considération.
Rachid RAHA, Président de l’Assemblée Mondiale Amazighe
NOTES :