Pourquoi le Royaume du Maroc craint l’enseignement de la langue amazighe?

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A l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle

Rachid RAHA, président de l’Assemblée Mondiale Amazighe, offre une conférence intitulée :

Pourquoi le Royaume du Maroc craint l’enseignement de la langue amazighe?

Le mardi 21 février 2023/2973 à l’activité de l’association «AZAR» à Las Palmas des Îles Canaries.

Et le vendredi 24 février à Düsseldorf en Allemagne.

Par: Rachid RAHA*

Introduction :

Le royaume du Maroc a entrepris l’enseignement de la langue amazighe en 2003 et avec la création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) il avait prévu que sa généralisation à l’enseignement primaire aurait dû être atteint en 2008. Vingt ans après son introduction à l’école publique, la langue amazighe devait être généralisée même au secondaire, aux 7 502 229 d’élèves, mais malheureusement, son enseignement n’arrive même pas à couvrir un demi-million d’élèves sur les 4 552 752, même pas 11%. Pire, elle est totalement exclue de l’éducation du préscolaire !.

Pourquoi cet incompréhensible blocage institutionnel de la part des différents ministres de l’éducation nationale, alors que la langue amazighe est une langue co-officielle, reconnue dans la constitution depuis une douzaine d’années?.

Dans cet exposé, rédigé à l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, je vais essayer d’avancer quelques raisons sans être exhaustive dans ma modeste analyse.

La motivation des écolier-e-s :

La première raison, c’est la motivation exprimée par les enfants, qu’ils soient amazighophones ou arabophones, aux cours dispensées sur la langue amazighe.

A notre époque, pour apprendre la langue arabe, imposée par la politique de l’arabisation idéologique de l’école à partir des années soixante-dix, il fallait se baser sur la peur. On utilisait le bâton, les gifles, la violence symbolique, … bref tous les moyens d’intimidation et de la répression pour apprendre obligatoirement la langue arabe classique, et avec, les versets du Coran !

Par contre, en 2003, et précédemment en 2002 au sein des écoles communautaires de la Fondation BMCE, les élèves avaient montré une attitude inattendue et une motivation inouïe, ainsi qu’une soif d’apprendre l’amazighe avec laquelle ils interagissaient avec leurs professeurs ! Ces derniers fournissaient des efforts personnels du fait qu’ils ne disposaient même pas de manuels pédagogiques. Ces élèves, pour la première fois dans l’histoire de l’école marocaine, précoloniale et postcoloniale, apprenaient une langue par amour, par la volonté et la joie !.

Le choix de la graphie « Tifinagh » et la facilité de sa lecture et écriture :

Il faut se rappeler que les forces partisanes conservatrices ont fait tout leur possible pour imposer l’enseignement de la langue amazighe en graphie dite « arabe » alors qu’elle est d’origine araméenne, au lieu de sa propre graphie qu’est le tifinagh. Une large bataille idéologique s’est déclenchée ente les partisans du parti de l’Istiqlal et du parti islamiste PJD et les militants du Mouvement Amazigh dont certains de ces derniers préféraient les caractères latins. Cet affrontements est tranché par l’adoption de la graphie TIFINAGH au sein du Conseil d’Administration de l’IRCAM et qui s’est publié dans le bulletin officiel depuis maintenant vingt ans (le 10 février 2003). Et à propos de ce pertinent choix de la graphie tifinagh que l’Académie Berbère de Paris avait le courage de diffuser clandestinement , feu Mouloud Mammeri disait :
« Le principe est une question de simple bon sens : le berbère doit s’écrire en berbère, c’est-à-dire en Tifinagh aménagés ». Dans ce sens, notre amazighologue marocain Mohamed Chafik ajoute que les Amazighs : « veulent pour cela cultiver ce qu’ils ont de foncièrement spécifique : leur langue. Ils veulent la développer, la moderniser, et la transmettre à leurs enfants ; c’est en elle qu’ils communient avec l’être. Et qu’on ne s’y trompe pas ! Leur langue a une valeur intrinsèque indéniable ; aussi est-elle encore en vie, et nulle autre qu’elle ne connaît mieux Tamazgha, son berceau. Elle a son alphabet, tifinagh, dont la “survivance… est d’autant plus émouvante qu’il s’agit d’une écriture fort ancienne, et dont les origines plongent dans la protohistoire” (Camps, p. 276). Totalement modernisé, cet alphabet n’a rien à envier à l’alphabet latin lui-même. Il matérialise admirablement l’identité culturelle des Imazighen, et reflète quelque part leur tempérament. C’est la volonté de défendre jusqu’au bout cet héritage, conjuguée à l’indignation provoquée par de grossières falsifications de l’histoire, qui explique la vigueur du sursaut identitaire berbère »(1).

Cependant, ce choix s’est révélé le plus judicieux vue que les caractères de néo-tifinagh adopté par l’IRCAM sont de formes géométriques, qu’on rencontre un peu partout au sein des tatouages, des motifs des tapis, des monuments historiques et des édifices architecturales en terre, et qui s’adaptent le mieux à la mentalité singulière du peuple amazigh, connu pour les anthropologues anglo-saxons, d’être un peuple pragmatique, matérialiste et réaliste. Et les enfants les apprennent avec une facilité extraordinaire comme s’ils dessinaient des choses et des traits !

Les valeurs universelles véhicules et l’égalité de la femme et de l’homme :

Dans ce sens, on croyait que l’élite arabo-musulmane partisane de l’Etat marocain attaquait et faisait tout pour bloquer cette nouvelle expérience d’enseignement à cause du fait qu’on avait choisi des caractères différents à ceux avec qui on écrit les versets coraniques. C’était comme si on remettait en question ce faux mythe de la sacralité de la langue arabe (et de son écriture) qu’on parle au paradis ! En plus, il mettait vraiment en question cette obsessive « politique d’arabisation idéologique » et les immenses budgets alloués durant des décennies, et qui ne s’accompagnait pas de tout avec assez de résultats positifs, comme ce nouveau champ éducatif, basé sur l’enseignement de la langue amazighe.

Au fond, cette élite conservatrice qui accapare l’administration et les institutions éducatives, comme le Conseil Supérieur de l’Education, et à laquelle font partie pas mal de conseillers royaux, a été mobilisée plus activement en s’acharnant contre la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe, lorsqu’elle s’est penchée sur le contenu des manuels scolaires que l’IRCAM, en collaboration avec le Ministère de l’Education Nationale, avait élaboré. Des manuels qui véhiculaient, au lieu des enseignements religieux et des habitudes de la soumission, des valeurs universelles et démocratiques, comme l’égalité de l’homme et de la femme, l’importance de la liberté et de la solidarité, le respect aux différentes croyances religieuses como la religion juive, etc.

Par exemple, cette image ci-après d’une famille habillée avec des habits modernes et qui s’entraident tous ensemble à la cuisine, choque profondément les conservateurs et les islamistes, habitués aux manuels de l’enseignement de la langue arabe et de la religion islamique, où la femme est souvent montrée ou dessinée voilée et réduite à tes taches domestiques ou entrain de faire ses prières.

Certaines images pourraient se révéler choquantes pour ces conservateurs et les partisans de l’arabo-salafisme, lorsque les filles et les garçons jouent ensemble, ou comme celle-ci où la femme passe ses vacances à la plage en bikini :

Du fait qu’au Maroc, le pouvoir monarchique s’inspire de la légitimité religieuse, le souci prioritaire des éducateurs arabo-musulmans c’est d’assurer une bonne et profonde éducation religieuse. Ce souci, malheureusement, n’a pas épargné l’éducation préscolaire. Par conséquent, dans les nouveaux manuels de l’éducation préscolaire en langue arabe, et où la langue amazighe a été carrément exclue, on a exagérément mis l’accent sur les pratiques religieuses, alors que pour les enfants de 4 et de 5 ans, le plus essentiel, c’est de les accueillir à l’école de manière harmonieuse et de les faire apprendre des choses et des notions, dont l’alphabet et le calcul, par le jeu et le dessin, tout en jouant en équipe, de manière ludique. Il ne faut pas embrigader la petite enfance, juste à l’abandon de la cellule familiale, à apprendre la prière comme si on vit dans un état théocratique, à l’exemple de l’Iran ou de l’Arabie Saoudite. Regardez ces images choisis des manuels Al manbar asaghir:

En effet, l’un des mythes véhiculée par l’élite arabo-salafiste et par les fondateurs du parti de l’Istiqlal à partir du 16 mai 1930 c’est ce qu’on appelle « le dahir berbère », expliquée comme une façon de la manipulation des autorités coloniales de diviser les « Arabes » et les « Berbères », alors qu’en réalité les colons français du protectorat ne faisaient que respecter juste le droit coutumier amazighe, dit « azerf », qui a toujours caractérisé la société amazighe. Une société fondamentalement laïque où prévalait ce dicton «rafqih di tamezyeda, amghar di tajmaât », c’est-à-dire l’imam à la mosquée (le prêtre à l’église) et le président élu à la place public, au conseil communal ou tribal (le maire à la place publique). En fait, une société qui se base sur le droit humain positif et évolutif, et qui bannit les châtiments corporels et la peine de mort.

L’enseignement de l’histoire autochtone du Maroc :

Une autre des caractéristiques de ces manuels pédagogiques de l’enseignement de la langue amazighe c’est de ressortir l’importance de certaines figures historiques amazighs de la longue et millénaire histoire du royaume, selon les manuels de l’IRCAM (tifawin a tamazight n°5 et 6), qui contredit frontalement la version des idéologues des conservateurs et de l’élite citadine arabo-islamique, celle comme quoi l’histoire du Maroc avait débuté avec l’arrivée des « Arabes », en réduisant celle-ci à seulement douze siècles, comme l’affiche honteusement la page web officielle de l’ambassade du Royaume du Maroc au Royaume d’Espagne(2) :

Là par exemple, vous avez l’exemple de Tin Hinan qui a réussi à régner les tribus touaregues de l’Ahaggar, au sud de l’Algérie, une femme amazighe de la région marocaine de Tafilalt qui détenait un grand pouvoir, comme la reine Dimya, connue sous le nom de Kahina, et qui a combattu courageusement les premières conquêtes des Arabes en Afrique du Nord.

En effet et ce qui encore incompréhensible, c’est que, parfois on explique aux petit-e-s dans les livres de « tarbiya al islamiya », que pendant la période de la « jahiliya », avant l’apparition de l’Islam, certains personnes enterraient leurs filles vivantes alors qu’en Afrique du Nord, les femmes pouvaient devenir des reines ! Même avec la convesion des Amazighs à la religion de prophète Mohammed, des femmes ont joué un rôle primororiale dans la diffusion de l’Islam, comme Kenza aurabiya de la dinastie idrisside ou la femme de Youssef Ibn Tachfine, Zaynab Nafzawiya, de l’empire almoravide, qui a régné du sud du Sénégal jusqu’au nord de l’Espagne (3).

Les manuels amazighs ressortent, aussi, certains rois amazighs à l’époque romaine, que les manuels scolaires en langue arabe passent sous silence, et qui ont contribué énormément à la civilisation méditerranéenne, comme par exemple : Massinissa, Yuba II, Yuguerten.

Ou encore, des personnages de l’histoire contemporaine, comme le fameux héros de la Guerre du Rif contre la colonisation hispano-française des années vingt, Mohamed Abdelkrim El Khattabi.

 

Enseigner des morceaux d’histoire du Maroc aux élèves leur permet de réveiller leur curiosité et leur intérêt à leur propre pays, et de se sentir, d’une certaine façon, un peu orgueilleux et fiers de leurs aïeuls et de leur appartenance sociale ou ethnique. Cela s’accompagne, sans doute, par des aspects qui renforcent leur évolution psychique, la confiance en soi et le sentiment d’auto-estime, des éléments psychologiques de taille pour le succès de leur scolarisation, de leur intégration sociale et de la formation de leur personnalité.

Conclusion :

L’actuel ministre marocain de l’Education Nationale, M. Chakib Benmoussa (4), comme l’actuel président du Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recheche Scientifique, M. Habib El Malki (5), connaissent parfaitement le succès retentissant du réseau des écoles communautaires de la Fondation BMCE « Medersat.Com », où les echecs scolaire et les abandons scolaires des écoliers sont vraiment minimes. Cet exemplaire succès, de toute l’histoire de l’école marocaine, revient au fait que ces écoles enseignent la langue amazighe, en tant que langue maternelle, à côté de la langue arabe et de la langue française. Comme le souligne parfaitement le linguiste français, M. Alain Bentolila: « …c’est sur la base solide de leur langue maternelle qu’on leur donnera une chance d’accéder à la lecture et à l’écriture et que l’on pourra ensuite construire un apprentissage ambitieux des langues officielles ».

En définitive, si l’actuel Ministre de l’Education nationale, M. Chakib Benmoussa, ne change pas de cap, et s’il continue à privilégier les considérations idéologiques sur les recommandations de l’UNESCO (6) et les droits et intérêts des enfants et de la petite enfance, sa réforme éducative de « Feuille de route 2022-2026 », ainsi que son « modèle de développement » seront simplement voués à l’échec, comme ce fût la très malheureuse expérience du «programme d’urgence» de l’ancien ministre Ahmed Akhchichène, dont on se rappelle tristement que du gaspillage, des détournements et des malversations des deniers publics et des abandons scolaires dépassant les 330 000 élèves chaque année !

* Rachid RAHA est président de l’Assemblée Mondiale Amazighe et de la Fondation «David Montgomery Hart» des Etudes Amazighs

Notes :

(1)- https://amadalamazigh.press.ma/fr/les-berberes-et-leur-contribution-a-lelaboration-des-cultures-mediterraneennes/
(2)- https://amadalamazigh.press.ma/fr/les-amazighs-protestent-contre-la-falsification-des-diplomates-marocains-de-lhistoire-du-royaume-du-maroc/
(3)- https://amadalamazigh.press.ma/fr/des-femmes-amazighes-dans-lhistoire/
(4)- https://amadalamazigh.press.ma/fr/lechec-annonce-de-la-reforme-de-la-politique-educative-du-ministre-de-leducation-nationale-du-royaume-du-maroc/
(5)- https://amadalamazigh.press.ma/fr/rachid-raha-interpelle-habib-el-malki-sur-la-reforme-de-lecole-marocaine/
(6)- https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000384469

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