LETTRE OUVERTE AUX AMAZIGHS DE LIBYE: Unissez-vous et constituez un seul front politico-militaire comme alternative pour sortir de la fratricide guerre civile

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Unissez-vous et constituez un seul front politico-militaire comme alternative pour sortir de la fratricide guerre civile

Lorsque en 2007, le défunt dictateur Mouammar Qadhafi avait engagé le « génocide » des populations amazighes en Libye, personne n’a osé lever sa voix. Aucun pays européen ne s’est manifesté. Seules quelques dizaines de militants amazighs marocains ont manifesté devant le consulat libyen à Rabat et quelques autres dizaines de militants amazighs, à Paris, convoqués par l’association Tamazgha lors de son invitation par l’ex-président Sarkozy.

En qualité de président du Congrès Mondial Amazigh, j’ai pris la parole à la réunion des ONG de la Conférence Mondiale Contre le Racisme de Durban II, tenue à Genève, du 20 au 24 avril 2009, (pourtant présidé par une femme diplomate libyenne), pour dénoncer la menace génocidaire du dictateur libyen ; suite à quoi, j’ai été surpris d’un rappel à l’ordre en m’ordonnant de ne pas mentionner le nom de chefs d’Etats.

Après le déclenchement de la révolution populaire du 17 février 2011, des opposants libyens, Qadhafi n’a pas hésité à mettre à exécution son plan d’extermination, en bombardant sans discrimination aucune les populations civiles de Kelâa. Ce qui avait poussé les Amazighs de Libye de Jbel Nefoussa à mettre à l’abri leurs familles en sol tunisien avant que les jeunes combattants retournent sur les champs de bataille.

Ces derniers, armés par Nicolas Sarkozy, sont descendu de leurs villages dans la montagne en se dirigeant vers Tripoli afin de dégager le Colonel Qadhafi de son quartier présidentiel. Evidemment, le souci de Sarkozy n’était point la réussite de la révolution du 17 Février, ni le bien-être social des citoyens libyens, ni encore moins la transition démocratique du pays. Son unique souci était de retrouver les documents qui compromettaient le financement de sa campagne présidentielle par l’argent sale de Qadhafi, comme le révèle la journaliste de cash investigation, Elise Lucet.

L’une des grandes erreurs commises par les valeureux combattants amazighs de Jbel Nefoussa, c’est qu’une fois que le Colonel Qadhafi a été capturé et livré à ses assassins, ils sont rentrés chez eux, en abandonnant le palais présidentiel de Bab al-Azizia ; alors qu’il fallait laisser une délégation permanente de représentants des combattants amazighs dans la capitale jusqu’à ce que la Libye se dote d’une nouvelle constitution en faveur d’un Etat civil qui reconnaît leurs droits et le droit à l’officialité de leur millénaire langue et culture amazighes.

S’agissant de stratégie du pouvoir, la question de fond et éternelle c’est que le centre ne pense jamais à la périphérie, mais lorsque les gens de la périphérie s’emparent du centre ils ne le quittent jamais ! Malheureusement, ce qui s’est passé avec les Amazighs de Libye s’est déjà passé avec les Amazighs du Maroc. Ces derniers ont pris les armes dans la périphérie, dans les montagnes du Rif et du Moyen Atlas pour arracher l’indépendance du Maroc, et une fois celle-ci conquise, ils sont retournés à leurs villages et douars, en 1956. Par la suite, en 1958-59, les gens du centre (les politiciens urbains du parti de l’Istiqlal) leur ont envoyé l’armée et le napalm pour les réprimer dans le feu et le sang !

Ainsi, l’histoire se répète, actuellement, les Amazighs de Libye (des montagnes de Jbel Nefoussa, les Zouaras des côtes méditerranéennes et les Touregs du Sahara) sont pris dans le feu croisé de deux gouvernements irresponsables, qui ont perdus toute légitimité et toute crédibilité politiques, du fait qu’ils ont échoué de manière catégorique à organiser les élections législatives et présidentielles pacifistes, qui étaient prévues en décembre 2018.

Ces deux gouvernements belliqueux et illégitimes ont failli à leur devoir suprême avec la victoire de la révolution du 17 Fèvrier, à savoir assurer, dans les meilleures conditions, la transition politique de la dictature vers un état démocratique, civil et décentralisé. En fin de compte, ils ont trahi la révolution et l’âme des milliers de martyrs qui sont tombés dans les différents champs de bataille et ce sont eux, les principaux responsables de la condamnation de la Libye à une deuxième guerre civile interminable où les gens de la Cyrénaïque s’entretuent à mort contre les gens de la Tripolitaine.

Tous les deux, que ce soit Fayez Sirraj ou le général Khalifa Haftar (qui vient de s’autoproclamer nouveau dictateur ce lundi 27 avril), sont en fin de compte les deux principaux responsables de la catastrophique situation politique. Tous les deux ont fait appel à des Etats étrangers, afin de faire la guerre à leurs semblables et frères, au bénéfice des intérêts de ces Etats, en l’occurrence les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite, d’un côté, et le Qatar et la Turquie de l’autre.

Déjà dans mon appel de Tinmel du 22 juin 2019 (1*) et du communiqué du 4  janvier de cette année (2*), je les invitais à prendre les distances avec ces Etats du Golfe, qui n’ont jamais voulu de bien aux nord-africains, qu’ils considèrent comme des « Arabes » de deuxième catégorie et dont-ils veulent s’accaparer des richesses naturelles. Pour s’assurer de cela, ils encouragent et arment les partisans de Serraj et de Haftar afin de s’engouffrer d’avantage dans la guerre civile, sans prendre en considération les recommandations du secrétaire général de l’ONU, ni les urgents appels de l’OMS de respecter au moins la trêve et les accords de paix à cause de cette grave et mortifère pandémie du Covid-19.

Des politiciens et chefs d’Etats qui ne respectent pas la vie de leurs citoyens et qui ne prennent pas de mesures pour assurer leurs sécurités et les prémunir de la contagion de ce virus n’ont aucune légitimité d’être à la tête de l’Etat libyen! Il est catégoriquement inadmissible de faire la révolution contre une dictature pour assoir une nouvelle et pire dictature. Je suis convaincu que les citoyennes et citoyens libyens ne veulent plus de dictature panarabiste (ou baâthiste) de Haftar ni de la dictature salafiste de Serraj !

Or, c’est exactement là où les Amazighs de Libye ont un rôle fondamental à jouer pour imposer la troisième voix : la voix de la raison et de la démocratie, et cela en s’inspirant de l’exemple kurde dans la guerre civile syrienne.

Les Amazighs de Libye ne doivent pas être naïfs pour se faire embarquer comme des mercenaires au bénéfice du camp de Serraj (et de Daech que finance la Turquie et Qatar) pour la simple manipulation qu’un ministre envois un sms en tifinagh !

Cela fait déjà exactement quatre ans que j’ai eu l’amabilité d’écrire une correspondance à M. Faiz Essarraj (Serraj), au nom de l’Assemblée Mondiale Amazighe (Agraw Amadlan Amazigh), où nous avons dénoncé le déni des droits des amazighes, des Touaregs (et des Toubous) et l’exclusion du Conseil Supérieur des Amazighes de Libye de l’instance d’élaboration de la constitution post-révolutionnaire. Une correspondance où on lui demandait d’adopter le régime fédéral comme la solution idéale aux problèmes du peuple libyen.  (3*)

Oui, l’adoption d’un système de gouvernance fédéral constitue la solution idoine pour les problèmes du peuple libyen et la clé idéale pour ses constituants, quant à la réalisation de ses aspirations et espoirs, dans le cadre de l’unité territoriale libyenne, comme nous l’avons exposé à la conférence de Manchester, organisé par la diaspora libyenne en Angleterre le 25 juillet 2015:  www.amadalamazigh.press.ma/2015-07-27-10-21-31/.

Depuis 2016, M. Serraj n’a répondu à aucune de ces revendications légitimes des Amazighs. Pire, il n’a pas fait grand-chose pour construire vraiment un Etat avec ses institutions, son administration et une armée unie, malgré le fait qu’il avait (et qu’il a toujours) à son avantage la reconnaissance onusienne. Il s’est laissé manipuler par des milices tribales qui prenaient de plus en plus de pouvoir au détriment de l’Etat central, et une fois affaibli et menacé par l’armée du général Haftar aux portes de Tripoli, il fait appel au président turc pour ouvrir la porte aux mercenaires terroristes syriens, que les kurdes avaient réussi à chasser de nord de la Syrie. Par cette irresponsable et fatale décision, Serraj devient complice des mercenaires daechistes qui insistent pour installer un état théocratique du type du moyen âge.

Malheureusement,  des tribus amazighes sont en train d’aider Serraj à ce néfaste projet de société obscurantiste en terre de Tamazgha. Je fais référence essentiellement aux tribus des Zouaras, qui contrôlent les frontières terrestres et maritimes de l’est de la Libye avec la Tunisie et qui essaient d’embarquer avec eux tous les autres Amazighs d’Adrar Nefoussa (et des Touaregs) dans cette dangereuse et cruelle aventure ! Mais en réalité et selon les enquêtes de l’ONU, ce sont les milices d’une certaine mafia qui contrôlent les trafics d’émigrés et du pétrole, qui sont complices avec le gouvernement pro-daech de Serraj.

(https://ds1.static.rtbf.be/uploader/pdf/d/3/3/rtbfinfo_216794d0a1e2121ac88c2385c2dd6eef.pdf .)

Les Amazighs de Zouara et tous les Amazighs de Libye, y compris les Touaregs, doivent savoir que si le projet des frères salafistes de Turquie/Qatar réussit en Libye, les mercenaires syriens et les daechistes libyens n’hésiteront pas à procéder à couper les têtes de leurs leaders, à violer leurs femmes et à procéder au génocide de leurs tribus entières pour la simple raison qu’ils sont des hérétiques du fait qu’ils pratiquent le courant religieux ibadite! De même pour l’autoproclamé dictateur Haftar, s’il réussit à s’accaparer de Tripoli, avec son projet d’Etat baâthiste rétrograde, il n’hésiterait pas à faire la guerre aux Amazighs ; d’ailleurs il n’arrête pas de les menacer le 9 avril 2019 à Zaouiya et en plus ses troupes viennent de le faire en s’attaquant à la ville de Jadou le 13 et 14 avril dernier!

Face à ce sombre panorama et à cette situation chaotique et apocalyptique où les Amazighs sont pris entre deux feux, il existe une troisième voie de sortie de la guerre civile, en s’inspirant de l’exemple de nos frères combattants Kurdes.

Lorsque les révolutionnaires gauchistes panarabistes et islamistes syriens se sont rebellés contre le dictateur Bachar El Assad, tous les deux demandaient l’appui politico-militaire des Kurdes de se mettre de leur côté. Mais ces derniers, grâce à leur courage, à leur pragmatisme et à leur solidarité et malgré le fait qu’ils possédaient plusieurs formations partisanes se sont unis dans la construction d’une autonomie régionale politique, à l’exemple du Kurdistan iraquien, en misant sur l’autogestion et sur des élections transparentes. Leurs représentants élus ont affiché des conditions claires, celles d’éviter à tout prix d’être utilisés comme des mercenaires en faveur d’un camp au détriment de l’autre, par conséquent ils se sont arrangés d’être plutôt du côté de ceux qui respectent le plus leurs droits fondamentaux et leur identité culturelle.

Comme les combattants de l’armée amazighe des tribus des montagnes d’Adrar Nefoussa ont réussi à chasser Qadhafi de la capitale, en provoquant sa chute, ils peuvent s’impliquer parfaitement dans cette difficile mission de pacification et de sécurisation de la Libye et  imposer la reconnaissance de leurs droits, tels le droit à l’autonomie régionale et la reconnaissance de leur langue amazighe dans la prochaine constitution en tant que langue officielle, à côté de l’arabe, comme cela a été fait au Maroc en 2011 et en Algérie en 2016.

Pour cela et en premier lieu il faudrait prendre l’initiative d’étendre et de renforcer l’union des tribus amazighs, du Sahara, les Touaregs, et les tribus de la côte méditerranéenne avec les Zouaras, dans un même et unique front politico-militaire qui assurerait la sécurité et la défense de toute la région de l’est libyen, ainsi que le contrôle des frontières avec la Tunisie pour empêcher l’entrée de mercenaire et de terroristes. Les représentants de ce front, où le Conseil Supérieur des Amazighes de Libye devrait jouer un rôle primordial, procéderaient à l’autogestion politico-administrative de ce vaste territoire. Et par conséquent, l’une des urgences de ce gouvernement régional est d’entamer la lutte contre la contagion du coronavirus, en empêchant les rassemblements et les prières collectives, des mesures préventives comme celles prises par les conseils communautaires de la Kabylie (tajmaât ou agraw), sans rien attendre de l’Etat central. Comme troisième priorité, après l’autodéfense militaire et la lutte contre le Covid-19, il s’agirait de penser une politique économique afin d’assurer l’autosuffisance alimentaire. Penser à une politique économique sociale de tiwisi qui se base sur l’extension de l’agriculture de subsistance et de la pêche…

En définitive, comme je l’ai exprimé à Mme. Federica Mogherinin, ex-Haute Représentante de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union Européenne, le 21 octobre 2018 et à l’ancien envoyé des Nations Unies en Libye, M. Ghassam Salamé, en décembre 2018, les Amazighs devront travailler et défendre la transition démocratique qui passe de l’acheminement d’un état centralisé vers un état décentralisé en régions autonomes, comme cela était le cas à l’époque monarchique ; seule voie qui pourrait mettre fin à la catastrophique guerre civile qui sévit en Libye.

S’acheminer dans le sens de l’ambitieux projet politique pan-amazigh «Le Manifeste de Tamazgha»,  où une importante délégation libyenne avait contribué à sa discussion et à son adoption lors de la VIIème Assemblée Générale des Amazighs du Monde, tenu dans la ville marocaine de Tiznit en décembre 2011 (http://amamazigh.org/wp-content/uploads/2018/10/AMA_MANIFESTE-DE-TAMAZGHA_5-langues.pdf ).

Pour conclure, les pays européens, comme l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Union Européenne, et plus particulièrement les pays de l’Afrique du Nord, concrètement la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte et le Maroc, devront naturellement tous soutenir, dans l’urgence des évènements, les Amazighs de Libye dans la construction de leur état civil.

Les Amazighs de Libye seront appelés plus que jamais à jouer le même rôle que les Kurdes de Syrie et d’Irak, sinon bonjour les dégâts, les boats people et la déstabilisation de l’Afrique du Nord et de l’Europe, au moment où ils ont le plus besoin les uns des autres pour redresser leurs économies respectives après les ravages présent et à venir de la pandémie du Covid-19 !

Rachid RAHA – Président de l’Assemblée Mondiale Amazighe

Notes :

1 : (www.facebook.com/142093689293727/videos/2114375012202287)

2 :  www.amadalamazigh.press.ma/%D8%A7%D9%84%D8%AA%D8%AC%D9%85%D8%B9-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%8A-%D8%A7%D9%84%D8%A3%D9%85%D8%A7%D8%B2%D9%8A%D8%BA%D9%8A-%D9%8A%D9%8F%D8%AF%D9%8A%D9%86-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D8%AF%D8%AE/  ),

3 : (http://amadalamazigh.press.ma/fr/lassemblee-mondiale-amazighe-demande-au-president-libyen-m-faiz-essarraj-dadopter-le-regime-federal-comme-la-solution-ideale-aux-problemes-du-peuple-libyen/)

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